À partir du mois d'octobre, le LaM-Laboratoire de musicologie de l'ULB vous invite au cycle de conférences en ethnomusicologie organisées conjointement avec l'International Council for Traditional Music (ICTM) Belgium nouvellement créé.
Programme à télécharger : ici.
Partenaires :
AHA - Atelier d'Hybridations Anthropologiques
ULB-Faculté de Philosophie et Sciences sociales
21 October 2020: Decolonize ethnomusicology? (EN/FR)
Stéphanie Weisser (ULB) & Tom Beardslee (independent researcher)
All the seminars happen on Wednesdays from 4 to 7pm
Université Libre de Bruxelles – Maison des Arts – 56, avenue Jeanne – 1050 Ixelles
Open to all - please confirm your attendance by writing to ictm.belgium@gmail.com
[EN] In the context of recent global events (Black Lives Matter, protests for decolonization of public spaces, etc.), ethnomusicologists around the world are questioning their discipline, heritage and institutional and personal status through the lense of (de)colonization. As the history of ethnomusicology as an academic and museal approach is rooted in evolutionist approaches, the question is often addressed in classes – and regularly in research.
Ethnomusicology as an academic discipline is "second" to musicology, both chronologically, financially and conceptually. In Belgium, the basics of Western music is taught (rather less than more) in schools as part of the program, under the name "music". This fact implies that most of the society (including the decision makers) have an implicit bias towards other forms of music. In teaching, we constantly face comparisons between Western art music and the music we study, as the former is reference, the norm. Most musicology programs focus, without even having to say it, on Western historical art music, whether ethnomusicology focuses on "all the rest".
This discussion on decolonizing ethnomusicology will focus on some of the following topics:
1. Is the “safeguard approach” Eurocentric?
In France, ethnomusicology was long considered as a way to ‘preserve’ endangered musical practices from dilution into a threatening globalized world (Borel 1988). Did this approach favor the ethnomusicologist as a ‘savior’ deciding which music deserved to be valorized, and which does not, raising questions of ethics and social responsibility?
This approach can be observed in other institutions than academics, such as Unesco. A UNESCO recognition is a political process, embedded with numerous socio-economical and identity stakes. The Eurocentric nature of UNESCO's World Heritage List have been noted (Reyes 2014). What about the Representative List of Intangible Cultural Heritage? Did good intentions lead to unfair treatments? Is patrimonialization as we know it counterproductive?
2. Should we do ethnomusicology differently?
As a discipline focusing on the "music of the other" (Aubert 2001), the ethnomusicologist is usually very conscious of being an ‘outsider’ to the music and the people (s)he works with. However, and despite his/her efforts, (s)he often uses tools and concepts inherited from the Western approach of music. One of them, widely discussed, is the notational system. Others are more difficult to detect: algorithms to detect/measure pitch and scales, for example, were at first designed in the very specific context of Western art music. Are there other methodological biases we are not conscious of? The ethnographic approach, which we also use, was first elaborated in colonial context, and were criticized and contextualized as such. But analytical tools for musical expressions as formal systems were less evaluated through this prism, or were so only to reject them and discard the analytical/formal approach altogether (see namely Scherzinger 2001, Agawu 2003 and Arom & Lévy 2015). As the question of Eurocentrism is intertwined with the very definition of the discipline, the current debates on decolonization raise important questions for the present and the future of ethnomusicology .
[FR] Décoloniser l’ethnomusicologie ? Les événements récents tels que le mouvement Black Lives Matter et les manifestations en faveur de la décolonisation de l’espace public ont suscité chez les ethnomusicologues une réflexion sur leur discipline, leur héritage institutionnel et leur statut personnel au prisme de la (dé)colonisation. Comme l’ethnomusicologie comme discipline universitaire et approche muséale est née dans une conception évolutionniste des sociétés humaines, la question est souvent posée dans un contexte d’enseignement – et régulièrement dans la recherche.
L’ethnomusicologie est une discipline « seconde » par rapport à la musicologie, à la fois historiquement, financièrement et conceptuellement. En Belgique, l’enseignement musical à l’école ne comporte que les bases de la seule musique occidentale, sous le terme de « musique ». Ceci a pour conséquence que la majeure partie de la société (ce qui inclut les décisionnaires) ont un biais implicite envers d’autres formes de musique. Et lorsque ces dernières sont enseignées, elles sont constamment comparées avec la musique savante occidentale qui constitue la référence, la norme. La plupart des programmes universitaires de musicologie se centrent, sans même avoir besoin de le préciser, sur la musique savante occidentale – l’ethnomusicologie se chargeant de « tout le reste ».
Pour aborder la question de la décolonisation de la discipline, nous avons choisi de nous centrer (sans exclusive) sur les deux thématiques suivantes :
1. La démarche de “sauvegarde” est-elle eurocentrée ?
En France, l’ethnomusicologie a longtemps été considérée comme un moyen de « préserver » des pratiques musicales risquant de se perdre dans un monde globalisé menaçant. Cette approche a-t-elle favorisé la conception d’un-e ethnomusicologue « sauveteur/euse », décidant quelle musique mérite d’être valorisée ? Quels sont les impacts éthiques et la responsabilité sociétale d’un-e ethnomusicologue « de l’urgence » (Borel 1988) ?
Ce type d’approche du fait musical non occidental savant peut être observé dans d’autres institutions que l’université et le musée, comme l’UNESCO. La reconnaissance par cette dernière est un processus politique, qui comporte de nombreux enjeux socio-économiques et identitaires. En ce qui concerne le patrimoine matériel, la nature eurocentrée de la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO a été démontrée (Reyes 2014). Qu’en est-il du patrimoine immatériel ? Les bonnes intentions à l’œuvre ont-elles mené à des traitements inéquitables ? La patrimonialisation telle que nous la connaissons actuellement est-elle contreproductive ?
2. Faire de l’ethnomusicologie autrement ?
En tant que discipline centrée sur « la musique de l’autre » (Aubert 2001), l’ethnomusicologue est très conscient-e d’être étranger/ère à la musique et aux personnes avec lesquelles il/elle travaille. Néanmoins, et en dépit de ses efforts, il/elle utilise souvent des outils et concepts hérités de l’approche occidentale de la musique. L’un d’entre eux, régulièrement critiqué, est le système de notation de la musique. D’autres sont moins faciles à détecter : les algorithmes de calcul des hauteurs et des échelles, par exemple, ont été développés dans le contexte spécifique de la musique occidentale savante. Y a-t-il d’autres biais méthodologiques dont nous ne serions pas conscient-e-s ? L’approche ethnographique, que nous utilisons également en ethnomusicologie, a été élaborée dans un contexte colonial, et ont été critiqués et contextualisés en tant que tels. Mais les outils analytiques des expressions musicales comme système formel ont moins été analysés sous cet angle, ou ne l’ont été que pour les rejeter (et avec eux, la démarche d’analyse formelle toute entière, voir notamment Scherzinger 2001, Agawu 2003 and Arom & Lévy 2015). Comme la question de l’eurocentrisme s’entremêle avec la question de la définition-même de la discipline, les débats actuels sur la décolonisation soulèvent donc d’importantes questions pour le présent et le futur de la discipline.